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Considérations relatives à un programme national d’assurance contre les inondations au Canada

Par Mathieu Boudreault, FICA, Ph.D.

À la suite des inondations survenues à Calgary en 2013, le gouvernement fédéral a demandé au secteur canadien de l’assurance de jouer un rôle plus actif sur le marché de l’assurance contre les inondations. Depuis ce temps, l’industrie et le gouvernement ont eu de nombreuses discussions afin d’améliorer la gestion financière des inondations au Canada. Ces démarches ont mené à la mise sur pied, en 2021, du Groupe de travail sur l’assurance contre les inondations et d’aide à la relocalisation du Canada (GT), lequel a publié, en août 2022, un rapport auquel j’ai contribué en ma qualité d’actuaire et de professeur en actuariat.

Dans cet article, je résume quelques-uns des principaux résultats d’un projet de recherche* que je dirige avec Sécurité publique Canada et le Bureau d’assurance du Canada et qui vise à examiner plus en profondeur la gestion financière des inondations au Canada au regard des changements climatiques. Ce projet fait suite aux travaux du GT et représente une analyse approfondie de la manière dont la science actuarielle peut aider à concevoir de meilleures politiques publiques à l’égard d’un des risques liés au climat les plus importants au pays.

La gestion financière des inondations au Canada

La gestion financière des inondations au Canada constitue une responsabilité qui incombe à la fois aux municipalités, aux provinces et territoires, au gouvernement fédéral et au secteur de l’assurance. L’assurance contre les inondations est offerte à titre facultatif dans le cadre de l’assurance habitation et, depuis 2015-2016, elle couvre les refoulements d’égouts et les débordements de cours d’eau. Le taux de souscription de ce produit à l’échelle du Canada est d’environ 60 %.

Toutefois, pour les propriétaires à haut risque, il est difficile de souscrire de l’assurance, qui peut être trop dispendieuse ou dont la couverture est inadéquate. Par conséquent, les provinces (et territoires) fournissent aux victimes d’inondations une aide financière d’urgence, tandis que le gouvernement fédéral assure aux provinces un soutien financier lors d’événements importants dans le cadre des Accords d’aide financière en cas de catastrophe (AAFCC).

Les municipalités sont chargées de planifier l’aménagement du territoire et l’entretien des infrastructures, chapeautées par les provinces, qui supervisent également la cartographie des zones inondables. En plus d’assurer la gestion des AAFCC, le gouvernement soutient les provinces et les municipalités au moyen de divers programmes, dont le Programme national d’atténuation des catastrophes et la Stratégie nationale d’adaptation.

Les risques d’inondation au Canada

Le premier objectif de la recherche consistait à dresser un tableau indépendant des risques d’inondation au Canada. Pour ce faire, nous avons constitué un ensemble de données sur l’exposition au Canada au moyen de divers produits provenant de DMTI Spatial, de Statistique Canada et d’Opta. Ce travail consistait à attribuer à 10 millions d’habitations au Canada des caractéristiques de propriété et une localisation exacte (géocodage). À partir de cet ensemble de données sur l’exposition, KatRisk a exécuté son modèle d’inondation fluviale et pluviale dans les 10 provinces, ce qui a permis de dresser le portrait suivant du risque d’inondations au Canada.

« La perte annuelle moyenne (PAM) totale au Canada se chiffre à 1,4 milliard de dollars. On estime, par ailleurs, que chaque année, il y a 1 % de risque que la perte totale attribuable aux inondations soit supérieure à 13 milliards de dollars et 0,1 % de risque qu’elle soit supérieure à 34 milliards de dollars. »

Bien qu’il ne soit pas aussi important que dans le cas des tremblements de terre, le risque systémique que représentent les inondations est non négligeable. Cette perspective est toutefois plus optimiste que celle qui est présentée par le GT dans son rapport, qui indique une PAM de près de 3 milliards de dollars par année. Cet écart s’explique en raison de l’utilisation par le GT d’une moyenne issue de modèles d’inondation de divers fournisseurs très divergents et du fait que son analyse portait sur cinq millions de propriétaires supplémentaires qui résident dans des immeubles à logements multiples. Cela illustre combien il est difficile d’obtenir un portrait précis des risques associés aux inondations au Canada (et ailleurs).

Les risques d’inondations sont également concentrés chez une faible proportion de propriétaires : une proportion de 39 % de la PAM est concentrée chez 1 % des habitations les plus à risque et une autre proportion de 78 % concerne 10 % des habitations les plus à risque, ce qui correspond essentiellement aux résultats obtenus par le GT. Il n’est donc pas étonnant de constater que l’assurance contre les inondations n’est pas offerte aux propriétaires à haut risque. Ainsi, et même si le taux de souscription était de 80 % à l’échelle du pays, l’assurance contre les inondations ne couvrirait qu’environ 20 % de la PAM. Voilà qui constitue pour le gouvernement fédéral un motif clair de discuter de solutions possibles aux fins d’un partage des risques d’inondation au Canada, y compris un programme national d’assurance contre les inondations pour les propriétés à risque élevé.

Coûts annuels et capitalisation initiale

Ce projet de recherche avait comme deuxième objectif d’évaluer les coûts récurrents et le capital initial requis pour mettre sur pied un programme d’assurance contre les inondations. Tout cela dépend en grande partie de la protection offerte, des propriétaires visés par le programme et de la participation attendue, ainsi que du recours à la réassurance internationale et au soutien du gouvernement fédéral à titre de filet de sécurité.

Sachant que près de 80 % des pertes sont concentrées chez 10 % des propriétaires, nous avons examiné des régimes à participation totale et partielle. Nous avons analysé diverses modalités de contrat, avec ou sans limites de couverture de 300 000 $ et des franchises allant de 5 000 $ à 25 000 $. Dans le cadre de l’analyse des coûts, on a supposé que le régime serait géré par un organisme à but non lucratif, le gouvernement fédéral agissant en tant que garant financier d’un régime entièrement capitalisé. Y compris les frais de subsistance supplémentaires, les frais de règlement de sinistres, le coût de la réassurance internationale et les frais généraux, il en coûterait entre 1,7 et 2,4 milliards de dollars pour gérer un programme d’assurance dans le cadre d’une participation totale. En raison de la distribution fortement asymétrique de la PAM parmi les propriétaires au pays, le coût du régime dépend en grande partie du profil de risque des participants du régime et non pas seulement du taux de souscription. Par exemple, l’exclusion des 1 % qui représentent les propriétés les plus à risque permet de réaliser une économie annuelle de plus de 40 %.

Nous avons étudié la capitalisation de divers régimes, ainsi que la fréquence et le coût de chacune des interventions fédérales avec différents niveaux de solvabilité, conditions d’assurance, profils de risque, politiques de placement, réassurances, etc. Il est important que le gouvernement fédéral soutienne le programme en cas de pertes catastrophiques, car la distribution des pertes globales au Canada a des queues très épaisses, comme nous l’avons mentionné précédemment. Cela s’accompagne toutefois également de risques politiques, tant pour le régime que pour les propriétaires. Par conséquent, nous avons aussi analysé le cas dans lequel ces interventions seraient réduites au minimum.

Pour une probabilité d’insolvabilité de 1 % sur 30 ans, le capital initial requis se situe dans les 30 à 50 milliards de dollars selon les modalités d’assurance. Encore une fois, si on exclut les 1 % des propriétés les plus à risque, le capital requis chute de plus de 40 %. Lorsque les interventions fédérales sont autorisées, la fréquence et le coût des flux de trésorerie requis dépendent évidemment du montant du capital initial. Avec un capital minimal, les interventions sont fréquentes, précoces et totalisent souvent des dizaines de milliards de dollars sur 30 ans. Cela montre qu’il n’y a rien de gratuit : un capital initial élevé offre une sécurité contre des interventions importantes et fréquentes, réduisant ainsi au minimum le risque politique pour le régime. La souscription d’une réassurance plus stricte sur le marché international jusqu’à la constitution d’un capital plus important contribue également à réduire considérablement le capital initial requis, mais cela s’accompagne d’un coût annuel supplémentaire non négligeable.

Et pour la suite?

L’analyse actuarielle a soulevé des questions évidentes mais difficiles à répondre. Par exemple : Qui va payer les coûts récurrents et non récurrents d’un programme d’assurance contre les inondations au Canada? Que faire avec les 1 % de propriétés les plus à risque qui sont à l’origine d’une part très importante des pertes? Le GT a commencé à répondre à ces questions en comparant quatre modèles de partage des risques : deux consortiums d’assureurs à haut risque, un modèle d’assureur public et un modèle de réassureur public. Suite aux travaux du GT, le gouvernement fédéral a annoncé dans son budget de mars 2023 la création d’un programme national d’assurance contre les inondations, d’un programme de subventions d’assurance et d’une nouvelle société d’État fédérale pour soutenir la gestion financière des inondations. Les paramètres de ces programmes font toujours l’objet de discussions avec les parties prenantes principales et, pour mettre sur pied une société d’État, il faut un projet de loi.

Les défis à l’horizon

La création d’une société d’État de (ré)assurance est de bon augure pour le Canada. En effet, il s’agit d’un outil souple et puissant favorisant la mise en commun des risques naturels (les inondations, mais peut-être aussi les tremblements de terre) tout en assurant le maintien de son autonomie, de son caractère apolitique et de sa viabilité à long terme. Il existe toutefois des défis à relever pour permettre au Canada de devenir résilient face aux inondations.

Le mode de financement des AAFCC doit être revu. À l’heure actuelle, les contribuables canadiens financent les AAFCC au moyen du budget général (modèle par répartition), ce qui n’incite pas les provinces à resserrer la réglementation relative à la cartographie des zones inondables et à l’aménagement du territoire.

« Si les AAFCC sont abandonnés graduellement, le mode de financement des nouveaux programmes d’assurance contre les inondations et d’accessibilité financière devrait engager les provinces et éventuellement les municipalités afin de favoriser la réduction des risques à long terme, ou autrement dit, de ralentir la construction dans les zones inondables ou près de celles-ci, et de construire des ouvrages de protection. »

Certaines données déterminantes manquent au Canada pour bien se préparer contre les inondations à long terme. En ce qui concerne la modélisation des inondations, chaque municipalité et chaque province prépare des cartes géographiques des zones inondables à des fins réglementaires en ayant recours à des méthodologies et à des niveaux de risque (périodes de retour) différents. Par conséquent, le secteur de l’assurance confie généralement à des fournisseurs étrangers (ce qu’a d’ailleurs fait le GT) la modélisation des risques d’inondation à l’échelle du Canada avec une méthodologie cohérente. Notre degré de préparation aux inondations est donc en partie entre les mains d’entités étrangères. Cela s’ajoute aux zones urbaines du pays qui ne disposent pas encore d’une modélisation de terrain à haute résolution, laquelle est essentielle pour obtenir une vision plus précise des risques d’inondation.

En ce qui concerne la vulnérabilité, l’historique des réclamations pour les débordements de cours d’eau est limité dans le secteur de l’assurance, alors que les provinces assurent une aide financière depuis des années. Ainsi, les renseignements qui permettraient de mieux comprendre la vulnérabilité des habitations du Canada face aux inondations se trouvent confinés dans les provinces. Elles sont donc difficilement accessibles pour analyser, par exemple, la rentabilité de la relocalisation ou d’autres mesures de réduction des risques, ou pour permettre aux assureurs de tarifer correctement l’assurance contre les inondations.

Et enfin, la question qui domine : les changements climatiques. Dans un rapport d’Environnement et Changement climatique Canada, on peut lire que « Même si les inondations à l’intérieur des terres résultent de multiples facteurs, des précipitations plus intenses augmenteront le risque d’inondation en milieu urbain. La façon dont les températures plus chaudes et les plus petits manteaux neigeux se combineront pour influencer la fréquence et l’ampleur des inondations relatives à la fonte des neiges est incertaine. » Par conséquent, quelles seront les répercussions financières des changements climatiques sur les inondations au Canada et quelle incidence auront-ils sur la gestion financière des inondations à l’avenir? Tel est l’objet de la deuxième partie du projet de recherche* auquel nous collaborons avec Sécurité publique Canada et le Bureau d’assurance du Canada et dont les résultats seront disponibles en 2024-2025.

*Le projet de recherche, Modèles canadiens de partage des risques des inondations face aux changements climatiques, est financé par Sécurité publique Canada et le Bureau d’assurance du Canada dans le cadre du programme Alliance du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, et avec la collaboration de Michael Bourdeau-Brien (Université Laval) et Jason Thistlethwaite (Université de Waterloo).

Mathieu Boudreault, FICA, Ph.D., est professeur au Département de mathématiques (actuariat) à l’Université du Québec à Montréal.

Cet article présente l’opinion de son auteur et ne constitue pas un énoncé officiel de l’ICA.

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